ladylabyrinth

J'ai atterri ici par hasard. Veuillez m'excuser du retard.

Lundi 30 avril 2012 à 21:42

C'est bizarre de se dire que ça t'est arrivé, à toi.

Je crois que tu me manques, je sais que je m'occupe l'esprit avec mille banalités parce que c'est difficile d'y penser, de vraiment y penser. Ne pas savoir où tu es, balayer le ciel du regard en se demandant s'il est vide, ou s'il abrite les âmes qui se cachent d'un monde sans grâce et sans pitié. Et pourtant, être persuadée, au fond, que tu reviendras, que tu te caches derrière ses pas, bruyants, qui foulent les cailloux de ce petit cimetière gris.

Je crois que je suis vide, que je ne peux pas pleurer. Peut-être que je ne sais pas encore ce que tout ça veut dire, ou peut-être parce qu'il y a quelque chose en moi qui s'est brisé. On parle beaucoup de ça, "quelque chose en moi s'est brisé", c'est la plus stupide des métaphores, la plus usée. Mais pourtant, je me sens tellement cassée, je vis de travers, comme s'il me manquait une pièce, tu sais, comme les petits objets que l'on achetait petits, et qui, une fois bousillés, ne pouvaient plus fonctionner comme avant.

 T'avoir vu tant souffrir, t'avoir vu mourir un peu tous les jours, sous mes yeux et mes bras impuissants, coincée dans un corps viable mais inutile, ça m'a rendu dingue et peut-être que ça m'a un peu tué, aussi. Les jours maudits, et les nuits angoissées éteignent les êtres en un souffle et j'existe sans briller. 

Evidemment que je suis un peu morte avec toi. C'est logique, je suis faite de la même chair que toi, je suis la continuité de ce que tu étais, de ce que tu es, comment ça pourrait en être autrement ?

Je te l'ai écrit, ce qui nous lie est indéfectible et survivra aux obstacles de la vie. Je ne comprends rien à ce qui se passe, mais je le sens, je le sais au fond de moi, qu'au moins ça, on ne nous l'a pas enlevé. Et on ne nous l'enlèvera jamais.

Je t'aime tellement que j'en ai mal, je voudrais être en colère contre toi, t'en vouloir, mais ce n'est pas de ta faute. C'est juste la vie qui veut ça.
 

 

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Jeudi 25 août 2011 à 18:15

"Jolie, mais abîmée. Jeune, mais cabossée. Quand je suis entrée dans cette petite salle, ce matin de Novembre, ce sont les premiers mots qui me sont venus à l'esprit. Elle était là, courbée sur sa petite chaise blanche, à tricoter quelques mots sur ses petits papiers colorés. Elle s'est tournée instantanément vers moi, et j'ai senti mon coeur frapper. Elle m'a regardée, de ses yeux noirs et humides. Elle avait le visage fragile, les joues creusées jusqu'à la commissure des lèvres, mais paradoxalement, c'est ce qui donnait force à sa beauté.
 Je me suis assise près d'elle et je l'ai observée écrire, me cachant derrière un livre sans intérêt. Certaines personnes dégagent quelque chose qui vous attire et vous intrigue sans raison. C'était le cas pour elle. Alors, je l'ai scrutée, je ne sais pas combien de temps. Quelques secondes, quelques siècles. Le temps semble bien particulier dans ces moments-là.
Je l'ai donc connue comme ça, je l'ai comprise comme ça aussi ; en la regardant entailler de sa plume ses feuilles, en l'attendant et la scrutant des milliards d'heures. Je n'ai jamais su ce qu'elle y écrivait, je crois que c'étaient des pensées, une des millions de choses qui lui passaient par la tête. Je l'ai comprise dans ces grands couloirs blancs et froids, parmi l'odeur de médicament, parmi ces lits défaits et tièdes. Je l'ai découverte en arpentant ce sol brillant et triste. Elle portait sur ses épaules frêles ce truc, ce machin, qui fait peur, épouvante et assassine : Quand serre ? Qu'en sert ? Je ne sais plus vraiment.
"Tu sais ce qu'il y'a de pire dans tout ça ? C'est de ne pas savoir si je me dégoûte ou me fais de la peine." Elle me disait qu'elle aurait bien voulu se teindre en blonde pour voir à quoi elle ressemblerait. Boire beaucoup d'alcool au moins une fois, fumer des cigarettes en cachette, étudier le Japonais. Conduire une voiture. Faire du vélo les yeux fermés.
 Touchante mais rongée. Très souvent déstabilisée. Toujours déstabilisante. Le plus grand des paradoxe. Dessiner avec des lettres le portrait de cette créature céleste, bousillée mais authentique, sur ces quelques feuilles fragiles, laisser couler l'encre noire sur cette page blanche, c'est compliqué. Et pourtant, elle prétendait que c'était la chose la plus facile à faire. Ecrire, recoudre les maux. Les mots, pardon.
Et quelques fois, dans la fraîcheur d'une nuit d'automne, elle me racontait ses amours inventées, des récits sans aucune cohérence, qui commençaient par la fin et se terminaient par une chute improbable, et elle riait, riait parce que c'était bon, et c'était vrai, et je crois qu'il n'en faut pas plus pour la caractériser, que toute la vérité résidait dans ces instants là.

Kant sert ? Non, vraiment je ne sais plus."
 

 

 

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Vendredi 15 avril 2011 à 20:36

"Pour décrire le chagrin d'amour, j'avais lu mille et une métaphores et comparaisons qui me semblaient ridicules et invraisemblables. Des clichés qui se tassaient dans des livres poussiéreux, des façons de dire, d'écrire pour faire pleurer les jeunes filles et qui leur donnaient, paradoxalement, l'envie d'aimer tant cela semblait fou & fiévreux. Comme j'avais tort. Ces gens-là avaient tout vécu avant moi.
Je me souviens qu'après avoir lu Les Liaisons Dangereuses de Laclos, je m'étais demandé comment Madame de Tourvel avait pu se laisser mourir de cette façon. En fait, maintenant, je le comprends très bien.
Je n'avais aucune idée de ce que c'était souffrir ; je pleurais autrefois comme les enfants le font ; plus par rage que par douleur. Parce que ce que je vivais me semblait triste et blessant. J'ai appris à souffrir quand j'ai appris à aimer, sans savoir que les deux étaient profondément liés. L'amour, l'amor, la mort ; pas étonnant que les sons de ces mots soient si proches. Je ne sais pas comment décrire tout ça sans passer par les nombreuses et fameuses fleurs de style connues et répétées.
Mon chagrin n'était pas pensé ; il était physique. C'est comme si quelque chose poussait en moi, me déchirait les entrailles, s'enraciner profondément dans mon corps, perçait des centaines de trous simultanément, continuellement dans chacun de mes membres. Une fleur pestilentielle qui bouffe le coeur, qui détruit l'air et pourrit la chair, que l'on sent respirer, vivre sous sa peau. 
J'étais amorphe, vide ; je regardais les secondes s'écouler, elles raisonnaient dans ma tête comme un compte à rebours ; je n'avais envie de rien et je vivais avec la peur au ventre. Peur de le voir au coin d'une rue, accompagné d'une femme, une de ces foutues bonnes femmes qu'il ne pouvait pas voir, qui ne savaient que l'abîmer et qui ne se rendaient pas compte que c'était justement ça qu'il cherchait.
J'avais des sueurs froides quand je lui parlais, des nausées soudaines ; j'étais effrayée par chacun des mots qu'il prononçait, effrayée par l'impact qu'ils auraient sur moi. Je me disais, va t'en, va t'en avant que tu ne deviennes folle. Avant que tout ça finisse par te tuer ; avant que la douleur finisse par laisser des marques meurtrières. Mais je n'arrivais pas à me résoudre. 
J'étais finalement plus pathétique que la dévote abusée de Laclos, que le Prince de Clèves abdiquant face à Nemours ; pire que l'Ellénore d'Adolphe ; tous ces personnages avaient au moins la décence de mourir dignement, d'être des héros de l'amour périssant sous le poids d'une passion impossible. Moi, je restais ici sous l'emprise de son indifférence ; accrochée, malgré tout, par l'espoir qu'il finirait par m'aimer. Et je ne savais faire que ça."

 

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Lundi 27 décembre 2010 à 21:32

"On s'est rencontrées dans la soirée. 
J'avais passé ma journée à regarder la télé ; j'avais mangé des gâteaux dans mon lit - une bonne centaine - si bien que j'avais dû emmener tous mes draps au pressing en urgence. C'étaient les seuls linges dans lesquels je pouvais dormir car c'étaient les seuls dans lesquels il n'avait pas couché. 
Je ne pouvais pas non plus mettre les pulls que je portais quand il me serrait contre lui, boire dans les tasses où nous buvions notre thé, aller seule dans les rues que nous avions arpenté ; et je savais que c'était un signe direct de ma folie, une preuve irréfutable que la douleur m'avait grignoté le peu de bon sens qu'il me restait avant d'être quittée. 

Un peu plus tard, je mâchais un chewing-gum en regardant mes draps tourner dans ces tambours géants. Je l'ai vue entrer, elle avait les yeux
rouges, le visage éteint, j'ai su tout de suite. Elle était déjà l'ombre d'elle-même. C'est toujours ça, toujours vrai, toujours les mêmes vérités qui se lisent sur les visages.   

"- Je suis allée chez toi, il n'y avait personne, je repartais. Et je t'ai vu ici." 
Je ne savais pas quoi dire. Il n'y avait rien à dire. Je l'ai serrée contre moi. Elle s'est mise à pleurer. 

Sauront-ils un jour ce qu'une femme peut ressentir quand elle est abandonnée ? Est-ce que ceux qui nous causent tant de mal resteront à jamais les bourreaux et ne connaîtront jamais les jours tristes ? Est-ce que nous sommes prédestinés à souffrir ou à faire souffrir ? Les bons, les méchants, les petites âmes brisées et ceux qui les brisent... Le monde à jamais divisé en deux... et les mêmes peines servies sur un plateau, inlassablement. 
J'aurais voulu lui dire que les choses s'arrangeraient, lui murmurer tu verras tout ira bien, mais les mois étaient passés et j'en étais encore à ensevelir mes peines sous une tonne de sucreries et j'en étais encore à me demander si la vie était vraiment faite sans lui... Alors je ne préférerais rien dire ; ne pas mentir, ne pas la nourrir d'espoir parce qu'on finit toujours par crever de faim quand rien n'arrive. 

On a toutes nos rêves ; l'amour, le vrai ; on se voit vivre, on se voit aimer plus que tout, se livrer entière et sans retenue, se donner sans concessions ; on se voit posséder, se faire posséder, appartenir, s'amouracher, s'arracher pour l'autre, s'entailler toujours un peu plus profond, tomber dans l'ivresse, dans l'envie de l'amour le plus parfait...
Qu'est-ce qu'il nous reste après ça ? Le rien, le trop peu... Le vide, la mort, l'air pitoyable & triste. 
Pas de fées, pas de miracles ni de magie ; rien avant minuit, encore moins après. 

Alors je l'ai seulement laissée pleurer dans mes bras, dans cet endroit étrange, où tout s'efface avec un peu de produit et un peu d'eau ; et je me souviens m'être dit que je voudrais lessiver nos petits coeurs et tout effacer, les tâches et les noirceurs, comme pour ces bouts de tissus...
"

 

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Dimanche 14 novembre 2010 à 1:30

"Il s’installa au coin de la terrasse, là où il avait le plus grand angle de vue sur le boulevard. Il n’eut guère le loisir d’attendre. À peine assis, il l’aperçut. Elle portait une robe semblable à celle de la dernière fois ; à fleurs, mais roses cette fois, et un petit nœud blanc, qu’elle avait soigneusement attaché à la fin de sa longue tresse blonde. Elle ne correspondait guère à ces icônes de mode exposés à chaque coin de rue, elle avait, dans sa façon de s’habiller et de se comporter, quelque chose qui renvoyait à un passé pas si lointain : elle semblait être une femme de ce monde mais pas de cette époque. Elle s’avança le sourire aux lèvres, et déambulant sur les pavés qui la séparait de lui, ballerines blanches au pied, comme une danseuse, avec grâce et légèreté. Arrivée à ses côtés, elle passa une main affectueuse dans ses cheveux et s’assit près de lui… 
En la regardant, son cœur frappa. Cela faisait quelques semaines qu’il la voyait, mais, à chaque fois qu’il posait les yeux sur elle, il ressentait la même chose. Elle était juste étonnante : elle dégageait quelque chose de fascinant et d’effrayant aussi ; sa beauté était presque brutale ; elle crevait le cœur au premier regard mais une fois l’éternelle surprise passée, elle y laissait comme une ombre de chagrin. Il ne savait pas s’il s’habituerait à ça, si l’on pouvait s’accommoder à de telles choses.
Pendant longtemps, il ne sut rien d’elle, ou si peu. Elle s’appelait Anna mais elle n’avait ni la douceur ni l’équilibre de son prénom. Elle était parfois troublée mais surtout troublante ; elle était apaisante, violente ; paradoxale et contradictoire ; elle était un patchwork de qualités et de défauts, comme si toute part de bien en elle devait trouver son contrepoids dans une défaillance. Le Yin et le Yang en un seul et même esprit. C’était juste une femme spéciale, très spéciale et il se sentait profondément banal, parfois, à côté d’elle."

 

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Vendredi 5 novembre 2010 à 22:49



- Devenir quelqu'un est incroyablement difficile. - 

 


 

 

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Lundi 26 avril 2010 à 12:00

C'est une putain.
Mais pas une petite putain. C'est une grosse putain, une vraie putain, pire que celles que vous avez rencontré tout au long de votre vie, je vous assure, cette putain là n'a aucune concurrence. Elle détient la Palme, l'Oscar et le César de la putain.
C'est une putain des rues, ou des villes, de la pluie, du soleil, peu importe, l'endroit d'où elle vient n'est pas si important, elle défie Montesquieu et toutes ses théories du Climat, parce que cette putain là est tellement une putain qu'elle ne répond plus à aucune règle philosophique, physique, et mathématique. C'est un concept à part entière, vous voyez. 
C'est une putain, voilà tout.
Je dirais même "une putain de putain" si j'étais être vulgaire, hyperbolique ; je ne le suis pas, mais vous savez que je n'en pense pas moins. Oh et puis non, je vais vous le dire moi, c'est "une putain de putain".
Une putain qui fait la putain, tous les jours de l'année, sans trêve ni répit ; ne comptez pas sur cette putain pour qu'elle cesse d'être une putain le jour de Noël, le jour de votre anniversaire, elle s'en fout, les jours fériés n'existent pas ; elle fait preuve d'une incroyable régularité, elle est une putain tous les jours, toutes les heures & les minutes, un peu comme une station service sur l'autoroute.
C'est ça d'être putain, ça ne se feint pas, ça ne s'apprend pas, c'est inné, ancré bien profondément.  
Elle a au moins le mérite d'être putain ; quoi que est-ce un mérite ? 
Je ne sais pas vraiment. On va dire que oui, car que lui resterait t-il à cette putain si ça n'en était pas un ?
Rien bien sûr. Cette putain ne restera qu'une sacrée putain, qu'on finira tous par détester ; car on déteste les grandes putains.
C'est déjà une petite consolation. Et les petites consolations finissent toujours par en donner de grandes. 
On m'a toujours dit ça.


Hey, vous ai-je dit que c'était une putain ?

 

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Lundi 26 avril 2010 à 11:56

 

Je t'échange mon cœur contre une poignée d'étoiles, t'en fais ce que tu veux, tu sais : Tu peux le poser sur le meuble de ton salon, le passer à la machine à laver, le gribouiller pour rire un peu, ou le prêter aux oiseaux affamés ; le laisser fondre sous ta langue ou le garder entre tes mains, le suspendre à ton sapin ou à ta porte d'entrée... Le disséquer, le cuisiner, l'ouvrir et tout effacer, le cacher sous la terre pour qu'il en pousse des fleurs ; tu peux aussi le remodeler, le réinventer, ou le démaquiller, l'envoyer sur la lune ou en terre inconnue, tu peux lui raconter quelques histoires drôles et des tristes aussi, l'emmener danser et le faire voler, lui faire faire des loopings vertigineux, l'emmener nager à la mer, le faire griller au soleil, le tremper dans ton café ou dans ton thé, ou le laisser glisser contre la neige... tu peux tout faire de lui, il n'a pas de limite : il peut contenir au minimum cent mille tonne d'amour... Mais il s'agit surtout de ne pas le trahir, de ne pas le  

  c a s s e r   . . .

 

 

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Lundi 26 avril 2010 à 11:54

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 On aura arpenté le sol de tous ces grands hôpitaux, regardant les autres se battre avec la vie dans ces couloirs ternes et blancs, on aura vu la mort guetter dans ces chambres où demeuraient ces gens qui avaient perdu tout espoir, et le soleil Parisien s'immiscer dans l'enfer même ; on aura rencontré les regards combattifs, ceux qui avaient le respect le plus certain pour l'existence, qui ne demandaient que ça : vivre encore un peu. Oh, on les aura eu ces vues imprenables, on en aura arpenté des rues et des pavés, ceux des beaux quartiers qui portent l'empreinte même de l'histoire, mais ça aura été dans les conditions les plus meurtrières, subordonnées par la maladie et la douleur... Comme j'aurais aimé les voir avec toi mais sans tout ça.

 

Mon Amour, je ne souhaite qu'une chose : regarder la nuit tomber sur cet horizon magnifique, admirer la beauté d'une ville qui s'endort sans avoir peur que les étoiles qui percent t'emportent avec elles ; je veux voir ces beautés de chez toi, ton vrai chez toi, celui où tu vivras, heureux, toujours, mon Amour, je n'attends que ça...

 

 

[ Pensée à ceux qui ont un proche atteint d'une maladie... Accrochez-vous. ]


Lundi 26 avril 2010 à 11:50

"Je l'ai longtemps cherchée. Avant de me faire une raison.
J'ai arpenté les rues, toutes celles qu'elle aimait traverser quand la nuit tombait ; je suis resté assis des heures sur le banc contre lequel elle aimait observer les passants. Duquel elle commentait la vie avec toute sa poésie et son regard enfantin, épuré et clairvoyant à souhait. 
Je ne l'ai jamais revu. Elle n'est jamais revenue. 
Elle avait une fois écrit qu'elle reviendrait au bout de quatre ans. Peut-être, si entre temps, elle avait trouvé la force nécessaire, et la compassion, pour me pardonner. Elle m'avait dit qu'elle m'attendrait dans le petit café, celui avec les
tables en bois, qui donne sur les grands immeubles où vont et viennent les hommes en cravate, toute la journée, qui courent après l'éternelle prochaine seconde. Où les femmes élégantes perchées sur des hauts talons déambulent comme des fées sur les pavés, en ignorant toute la plénitude de leur beauté. Où la vie ne s'arrête jamais, où les amours se font et se défont, où les regards se croisent, les sourires se mêlent, les histoires s'ébauchent. De sa petite chaise, elle avait la sensation d'assister à une représentation théâtrale qui ne finit jamais. Chez elle, tout était une question de perception, de regard. 
Mais même là-bas, je ne l'ai pas trouvée. Personne ne l'avait vue. Ni les serveurs, ni le propriétaire ne l'avaient reconnue. Ne l'avaient croisée. Ni
avant, ni aujourd'hui. Sûrement jamais. 
Je me suis rendu, dans un dernier geste d'espoir, chez elle, l'ancien chez elle. La vieille gardienne a eu du mal à se rappeler qu'un tel appartement fut occupé un jour... "Mais si, vous savez, l'appartement au deuxième étage. Le numéro un... Mais si, à gauche ! Le quatrième du pallier. " 
Sans être convaincue, elle m'a donné un trousseau de clefs, puis je suis monté.
Il était vide. Sans meuble. Poussiéreux. Rien dans cet appartement aurait pu laisser penser que quelqu'un y avait habité un jour. Il n'y avait ni les marques de ses tableaux qu'elle accrochait de travers, ni les traces de ses meubles. Je ne ressentais même pas l'aura d'une présence passée. 
Elle avait simplement disparu. Elle était probablement sur cette terre, vivait quelque part, parmi six milliards de personnes ; pendant que moi, je courais après une forme de souvenir, une ombre du passé, qui avait cessé d'exister lorsque je l'avais quittée.
Et pourtant, j'ai longtemps cru qu'elle reviendrait. Comme les personnages un peu farfelus dans ces romans de gare qui, malgré les épreuves et le temps, finissent toujours par se réconcilier. Mais voilà, ici, on ne se retrouve pas, par hasard, au milieu d'une ville de six cent mille habitants, des années après, la passion et les émotions intactes, comme si la vie n'avait jamais continué. On ne piétine pas les coeurs impunément. Ici, on abîme les gens et ils ne reviennent jamais."

 

 

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