"On s'est rencontrées dans la soirée. 
J'avais passé ma journée à regarder la télé ; j'avais mangé des gâteaux dans mon lit - une bonne centaine - si bien que j'avais dû emmener tous mes draps au pressing en urgence. C'étaient les seuls linges dans lesquels je pouvais dormir car c'étaient les seuls dans lesquels il n'avait pas couché. 
Je ne pouvais pas non plus mettre les pulls que je portais quand il me serrait contre lui, boire dans les tasses où nous buvions notre thé, aller seule dans les rues que nous avions arpenté ; et je savais que c'était un signe direct de ma folie, une preuve irréfutable que la douleur m'avait grignoté le peu de bon sens qu'il me restait avant d'être quittée. 

Un peu plus tard, je mâchais un chewing-gum en regardant mes draps tourner dans ces tambours géants. Je l'ai vue entrer, elle avait les yeux
rouges, le visage éteint, j'ai su tout de suite. Elle était déjà l'ombre d'elle-même. C'est toujours ça, toujours vrai, toujours les mêmes vérités qui se lisent sur les visages.   

"- Je suis allée chez toi, il n'y avait personne, je repartais. Et je t'ai vu ici." 
Je ne savais pas quoi dire. Il n'y avait rien à dire. Je l'ai serrée contre moi. Elle s'est mise à pleurer. 

Sauront-ils un jour ce qu'une femme peut ressentir quand elle est abandonnée ? Est-ce que ceux qui nous causent tant de mal resteront à jamais les bourreaux et ne connaîtront jamais les jours tristes ? Est-ce que nous sommes prédestinés à souffrir ou à faire souffrir ? Les bons, les méchants, les petites âmes brisées et ceux qui les brisent... Le monde à jamais divisé en deux... et les mêmes peines servies sur un plateau, inlassablement. 
J'aurais voulu lui dire que les choses s'arrangeraient, lui murmurer tu verras tout ira bien, mais les mois étaient passés et j'en étais encore à ensevelir mes peines sous une tonne de sucreries et j'en étais encore à me demander si la vie était vraiment faite sans lui... Alors je ne préférerais rien dire ; ne pas mentir, ne pas la nourrir d'espoir parce qu'on finit toujours par crever de faim quand rien n'arrive. 

On a toutes nos rêves ; l'amour, le vrai ; on se voit vivre, on se voit aimer plus que tout, se livrer entière et sans retenue, se donner sans concessions ; on se voit posséder, se faire posséder, appartenir, s'amouracher, s'arracher pour l'autre, s'entailler toujours un peu plus profond, tomber dans l'ivresse, dans l'envie de l'amour le plus parfait...
Qu'est-ce qu'il nous reste après ça ? Le rien, le trop peu... Le vide, la mort, l'air pitoyable & triste. 
Pas de fées, pas de miracles ni de magie ; rien avant minuit, encore moins après. 

Alors je l'ai seulement laissée pleurer dans mes bras, dans cet endroit étrange, où tout s'efface avec un peu de produit et un peu d'eau ; et je me souviens m'être dit que je voudrais lessiver nos petits coeurs et tout effacer, les tâches et les noirceurs, comme pour ces bouts de tissus...
"

 

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