"Jolie, mais abîmée. Jeune, mais cabossée. Quand je suis entrée dans cette petite salle, ce matin de Novembre, ce sont les premiers mots qui me sont venus à l'esprit. Elle était là, courbée sur sa petite chaise blanche, à tricoter quelques mots sur ses petits papiers colorés. Elle s'est tournée instantanément vers moi, et j'ai senti mon coeur frapper. Elle m'a regardée, de ses yeux noirs et humides. Elle avait le visage fragile, les joues creusées jusqu'à la commissure des lèvres, mais paradoxalement, c'est ce qui donnait force à sa beauté.
 Je me suis assise près d'elle et je l'ai observée écrire, me cachant derrière un livre sans intérêt. Certaines personnes dégagent quelque chose qui vous attire et vous intrigue sans raison. C'était le cas pour elle. Alors, je l'ai scrutée, je ne sais pas combien de temps. Quelques secondes, quelques siècles. Le temps semble bien particulier dans ces moments-là.
Je l'ai donc connue comme ça, je l'ai comprise comme ça aussi ; en la regardant entailler de sa plume ses feuilles, en l'attendant et la scrutant des milliards d'heures. Je n'ai jamais su ce qu'elle y écrivait, je crois que c'étaient des pensées, une des millions de choses qui lui passaient par la tête. Je l'ai comprise dans ces grands couloirs blancs et froids, parmi l'odeur de médicament, parmi ces lits défaits et tièdes. Je l'ai découverte en arpentant ce sol brillant et triste. Elle portait sur ses épaules frêles ce truc, ce machin, qui fait peur, épouvante et assassine : Quand serre ? Qu'en sert ? Je ne sais plus vraiment.
"Tu sais ce qu'il y'a de pire dans tout ça ? C'est de ne pas savoir si je me dégoûte ou me fais de la peine." Elle me disait qu'elle aurait bien voulu se teindre en blonde pour voir à quoi elle ressemblerait. Boire beaucoup d'alcool au moins une fois, fumer des cigarettes en cachette, étudier le Japonais. Conduire une voiture. Faire du vélo les yeux fermés.
 Touchante mais rongée. Très souvent déstabilisée. Toujours déstabilisante. Le plus grand des paradoxe. Dessiner avec des lettres le portrait de cette créature céleste, bousillée mais authentique, sur ces quelques feuilles fragiles, laisser couler l'encre noire sur cette page blanche, c'est compliqué. Et pourtant, elle prétendait que c'était la chose la plus facile à faire. Ecrire, recoudre les maux. Les mots, pardon.
Et quelques fois, dans la fraîcheur d'une nuit d'automne, elle me racontait ses amours inventées, des récits sans aucune cohérence, qui commençaient par la fin et se terminaient par une chute improbable, et elle riait, riait parce que c'était bon, et c'était vrai, et je crois qu'il n'en faut pas plus pour la caractériser, que toute la vérité résidait dans ces instants là.

Kant sert ? Non, vraiment je ne sais plus."
 

 

 

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