"Pour décrire le chagrin d'amour, j'avais lu mille et une métaphores et comparaisons qui me semblaient ridicules et invraisemblables. Des clichés qui se tassaient dans des livres poussiéreux, des façons de dire, d'écrire pour faire pleurer les jeunes filles et qui leur donnaient, paradoxalement, l'envie d'aimer tant cela semblait fou & fiévreux. Comme j'avais tort. Ces gens-là avaient tout vécu avant moi.
Je me souviens qu'après avoir lu Les Liaisons Dangereuses de Laclos, je m'étais demandé comment Madame de Tourvel avait pu se laisser mourir de cette façon. En fait, maintenant, je le comprends très bien.
Je n'avais aucune idée de ce que c'était souffrir ; je pleurais autrefois comme les enfants le font ; plus par rage que par douleur. Parce que ce que je vivais me semblait triste et blessant. J'ai appris à souffrir quand j'ai appris à aimer, sans savoir que les deux étaient profondément liés. L'amour, l'amor, la mort ; pas étonnant que les sons de ces mots soient si proches. Je ne sais pas comment décrire tout ça sans passer par les nombreuses et fameuses fleurs de style connues et répétées.
Mon chagrin n'était pas pensé ; il était physique. C'est comme si quelque chose poussait en moi, me déchirait les entrailles, s'enraciner profondément dans mon corps, perçait des centaines de trous simultanément, continuellement dans chacun de mes membres. Une fleur pestilentielle qui bouffe le coeur, qui détruit l'air et pourrit la chair, que l'on sent respirer, vivre sous sa peau. 
J'étais amorphe, vide ; je regardais les secondes s'écouler, elles raisonnaient dans ma tête comme un compte à rebours ; je n'avais envie de rien et je vivais avec la peur au ventre. Peur de le voir au coin d'une rue, accompagné d'une femme, une de ces foutues bonnes femmes qu'il ne pouvait pas voir, qui ne savaient que l'abîmer et qui ne se rendaient pas compte que c'était justement ça qu'il cherchait.
J'avais des sueurs froides quand je lui parlais, des nausées soudaines ; j'étais effrayée par chacun des mots qu'il prononçait, effrayée par l'impact qu'ils auraient sur moi. Je me disais, va t'en, va t'en avant que tu ne deviennes folle. Avant que tout ça finisse par te tuer ; avant que la douleur finisse par laisser des marques meurtrières. Mais je n'arrivais pas à me résoudre. 
J'étais finalement plus pathétique que la dévote abusée de Laclos, que le Prince de Clèves abdiquant face à Nemours ; pire que l'Ellénore d'Adolphe ; tous ces personnages avaient au moins la décence de mourir dignement, d'être des héros de l'amour périssant sous le poids d'une passion impossible. Moi, je restais ici sous l'emprise de son indifférence ; accrochée, malgré tout, par l'espoir qu'il finirait par m'aimer. Et je ne savais faire que ça."

 

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